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Salam Halekum : Le Maroc à vélo

Montée dans le bateau à Algéciras

Salam Halekum

 

(par Sibylle)

 Depuis le 27 Octobre, nous sommes au Maroc. Il est temps de vous faire partager ce que nous vivons ici. Le Maroc nous a accueilli les bras ouverts.

 

 

Nous vivons des moments riches de rencontres ; Dès le premier soir, alors que nous affrontions depuis plusieurs heures les montagnes, le vent très fort, et la nuit qui nous a surpris, un monsieur s’arrête pour nous venir en aide. Il nous explique que la prochaine ville est à 9 kms. Il reste encore 2 kms de montée, et ensuite ça n’est que de la descente. Il nous propose de nous tirer avec une corde sur la partie montée. Nous sommes un peu inquiets à cette idée, cela pourrait être dangereux, notamment à cause de la force du vent. Mais il fait très froid, et nous sommes épuisés par notre journée. Nous acceptons sa proposition et commençons avec lui à attacher nos vélos entre eux, puis à la voiture. Cela nous fait rire et nous remonte un peu le moral. 

tandem accroché à la voiture

handbike accroché au tandem

Cela aura été pour nous un avant goût du Maroc. A plusieurs reprises, les gens vont nous venir en aide, et même si parfois ils tentent (et réussissent) de nous arnaquer, nous garderons certainement en mémoire les moments géniaux passés  sur la terre marocaine.

Sur la route qui nous mène à Tétouan, nous sommes « acclamés » par les gens. Toutes les voitures klaxonnent pour nous encourager, les passants à droite, à gauche, nous font des signes de la main, les enfants crient et rient en nous faisant coucou. Nous avons parfois l’impression d’être la reine d’Angleterre, ou le Pape : nous passons notre temps à lever la main et à faire de grands sourires pour répondre aux gens.

Tétouan

Notre arrivée à Tétouan se fera sous les acclamations des enfants, car nous arriverons au moment de la sortie de l’école. Il y a beaucoup de monde dans la ville. Nous craignons le prochain feu rouge, car il est fréquent paraît-il que les enfants touchent aux vélos, essayent d’ouvrir les sacoches, et de prendre les choses qui les intéressent. Aujourd’hui rien de tout cela. Ils regardent, seulement, avec de grands yeux. C’est un homme, qui va nous demander de nous mettre sur le côté. Il veut nous « aider » à trouver un hôtel, d’ailleurs il en connaît un très bien. Il nous donne la direction à suivre. Nous disons « oui, oui, merci beaucoup », en pensant : « nous ferons de toutes façons ce que nous voudrons une fois partis ». Mais très vite, l’homme traverse la route, va chercher une petite mobylette et avant que nous ayions eu le temps de dire « ouf », il avait réussi à nous mener devant la porte de l’hôtel. Aux débutants que nous sommes au Maroc, il avait aussi soutiré quelques informations : combien de temps restez-vous ? Avez-vous déjà visité la médina de Tétouan ? Si vous voulez, il y a un grand marché avec les berbères, ils descendent en ville une fois par mois pour vendre ce qu’ils ont préparé dans la montagne, cela vous intéresse-t-il ? …Nous avons gentiment répondu à toutes les questions, sans penser qu’il allait appeler son « frère » pour nous accompagner faire la visite de la médina. Nous prenons nos douches tranquillement  et 1/2h après, nous partons Grégoire et moi pour visiter un peu. Les deux hommes étaient là, et attendaient que nous sortions de l’hôtel pour nous accompagner. Baptiste un peu fatigué a souhaité ne pas venir et nous nous disions avec Grégoire que c’était l’occasion de passer un peu de temps tous les deux, mais non, raté pour cette fois. Le frère de notre ami, nous trainera jusqu’à la fin. En réalité, il s’agissait d’un faux guide. C’est-à-dire qu’il nous a amené chez ses copains, vendeurs de tapis, ou gérants de la vieille pharmacie (où nous avons eu droit à un massage à l’huile d’argan), le boulanger…dans le but de nous faire acheter. A la pharmacie, nous avons bien failli tomber dans le panneau, mais sages que nous sommes, nous avons renoncé à toutes les tentations du jour, pour le plus grand malheur de notre guide et de ses commerçants !

                                         

Nous resterons 3 jours à Tétouan, histoire de prendre chacun du temps pour soi, souffler un peu et surtout nous roder un peu pour la suite de nos rencontres marocaines. Il faut apprendre à négocier, dire non quand nous sommes embarqués sans même le comprendre au travers des rues de la Médina : « viens mon ami, viens voir, c’est la plus grande mosquée de toute la ville de Tétouan, et c’est aussi la plus vieille de tout le Maroc… ». Tous savent qu’ils peuvent obtenir de nous de l’argent, et ils se donnent beaucoup de mal pour que cela arrive.

Pendant tout notre passage au Maroc, nous allons progressivement apprendre, et comprendre leurs techniques, qui passe bien souvent par le même questions :

-« Français ?

-oui

-Soyez les bienvenus au Maroc ! Vous êtes déjà venus au Maroc?

-Grégoire et Baptiste sont déjà venus une fois, mais pour moi c’est la première.

-Ah d’accord, quelle région en France ?

- Bretagne et Alsace.

-Ah Brest, Saint-Malo, j’ai exposé à Rennes en 2004, et aussi à Strasbourg, viens mon ami voir ce que j’ai exposé là-bas, c’est unique, et les Alsaciens ont beaucoup aimé mon art… »

Là, avec toutes ces questions, ils savent que nous ne sommes pas de grands experts en négociations (ils ne connaissent pas Grégoire !), et cherchent à nous toucher par nos origines. Il faut savoir qu’une fois qu’on entre dans une boutique quelconque il est extrêmement difficile d’en ressortir, particulièrement de chez le marchand de tapis.

Bien sûr, comme ils le disent tous, « c’est pour le plaisir des yeux » mais tout de même tout est fait pour que nous achetions. On nous sert du thé à la menthe délicieux, et des dizaines de tapis sont déroulés juste devant nous, avec en prime l’histoire de chaque tapis : celui du mariage, tissé de telle sorte, celui du bébé, avec un fil unique et très difficile a manipulé,… et après tout cela, on nous dit : même sans l’acheter, toi mon ami, combien est-ce que tu mettrais pour un tapis comme celui-là ? Si tu devais en acheter un, lequel choisirais-tu ? Ah vous êtes en vélo, c’est pas grave mon ami, je peux tout t’envoyer en France, par un système d’envoi interne et sécurisé, pas de problème avec ça , combien tu mettrais pour ce tapis, envoi compris… etc…

Trois jours à Tétouan pour nous mettre en jambe n’auront pas été de trop !

La cabane d’Ali

Nous avons quitté Tétouan ce matin. Nos intestins commencent à flancher. Depuis quelques jours, la nourriture n’est plus tout-à-fait la même qu’avant, et la digestion devient difficile. Je suis déjà malade, et les garçons vont bien vite me suivre. Le midi même nous avons cru devoir planter notre tente au bord de la route tellement Baptiste était mal en point. Tout blanc, à attendre la délivrance, assis par terre, sous le regard de son handbike, prêt à reprendre la route.

Pauvre Baptiste

Nous n’irons pas bien loin. La nuit tombe très vite et le froid est là. Nous demandons à quelques hommes à côté d’une cabane à combien de kilomètres est l’hôtel le plus proche. Ils nous disent qu’ils n’y en a pas avant une bonne trotte, et nous proposent très rapidement de nous accueillir dans la cabane en bambou de l’un d’entre eux : Ali !

Nous sommes au cœur de notre projet : rencontrer les gens, découvrir comment ils vivent… Le moment n’est pas très propice car nous sommes malades et il n’y a ni eau courante (pas de douche, pas de toilettes) ni électricité. Mais tant pis, nous acceptons en nous disant que nous trouverons bien des solutions, et que Ali doit sûrement se laver parfois et aussi aller aux toilettes.

Nous avons reçu un accueil très chaleureux. La cabane d’Ali, se compose de trois toutes petites pièces : 1 première qui est ouverte la journée et qui lui sert à étaler ses oignons pour les vendre ensuite aux passants. Le soir, c’est une entrée, un endroit ou il y a un petit matelas surélevé par des cageots pour en faire un petits canapé et de l’autre coté de la plusieurs blocs de paille collés les uns aux autres. La deuxième pièce fait environ 2 m carrés  et est à la fois cuisine, salon, salle à manger. Au sol, de la terre battue, recouverte par des nattes à certains endroits. Il y a aussi une lampe à huile, et un réchaud, indispensable à la réalisation du thé. Quelques étagères contiennent deux ou trois couverts, des verres, et un peu de nourriture. Dans la troisième pièce, il y a la chambre d’Ali. Son matelas est rehaussé par de gros sacs en toile de jute qui contiennent de la paille. Au sol il y a aussi une natte qui remonte jusqu’à 20 cms sur le mur afin de couper l’entrée de l’air, et garder la chaleur produite par le réchaud et la lampe à huile.

Pièce principale de la cabane

Chambre d’Ali

A notre arrivée, Ali va enlever ses affaires de sa chambre pour nous céder sa place. Nous sommes un peu gênés, mais il n’est pas question de négocier. Cela lui fait vraiment plaisir, et il nous dit qu’il n’y a vraiment aucun problème qu’il peut dormir dans la voiture de son cousin, il y a de la place à l’intérieur.

Ensuite il ouvre sa première pièce, afin de faire rentrer nos vélos et les ranger sur la paille. Nous arriverons à tout faire rentrer, même si la remorque et le handbike se chevauchent un peu cela fera l’affaire pour la nuit.

Ali avait prévu de partir à Tanger pour la soirée avec son cousin. Il nous explique cela et nous rassure en nous disant qu’un de ses amis va rester avec nous pour la soirée. Au Maroc, nous avons remarqué que nous sommes souvent mis en garde sur les rencontres que nous pourrions faire ; beaucoup de marocains nous disent qu’il ne faut faire confiance à personne, qu’il y a des risques partout… Le matin, chez Ali, une voiture avec deux gendarmes nous repère et passe nous demander nos passeports. Très vite, ils nous feront comprendre que nous sommes entourés de personnes à qui nous ne devons pas faire confiance, et qu’il faut vraiment faire très attention à nos fréquentations. Nous sommes surpris car la gentillesse d’Ali et de ses cousins est innommable.

Pendant que nous « galérons » à nous laver, dans un endroit en vue de tout le monde, et Dieu sait s’il y a du monde dans le coin, Ali, revenu de Tanger dans la nuit, nous prépare un petit déjeuner, et nous offre des noix. Café au lait, pain, vache qui rit (très célèbre au Maroc), de quoi nous rassasier…enfin sauf Baptiste qui ne peut rien avaler, et presque pas bouger non plus. Ali remarque bien que quelque chose ne va pas et nous propose de nous accompagner en trafic jusqu’à Chefchaouen. Nous réfléchissons. Grégoire et moi on aimerait bien  pédaler, car cela fait plusieurs jours maintenant que nous trainons, mais c’est sûr que Baptiste n’est pas en état de repartir. Nous acceptons la proposition et aurons droit avant de prendre la route de Chefchaouen à une super visite des montagnes avoisinantes. C’est vraiment un site magnifique. L’appareil photo est de sortie !

Les deux cousins d'Ali, Baptiste, Ali, Sibylle

Arrivé à Chefchaouen, nous regardons s’il y a un camping, mais Ali préfère nous accompagner dans un hôtel par cher et sûr, avec un endroit sécurisé pour nos vélos. Ils attendent de voir si nous sommes entre de bonnes mains et si tout va bien pour nous, avant de nous dire au revoir. La grande classe !

 

Chefchaouen

Un petit nettoyage s'impose avant toute chose!

Avant toute chose, nous commençons par prendre une bonne douche. 

 Puis nous nous lançons dans une visite de la médina de Chefchaouen. Nous allons très vite beaucoup apprécier cette petite ville, nommée la ville bleue. Effectivement, presque la totalité des murs sont peints en bleu. Nous apprendrons plus tard que le mélange de la chaux et des colorants bleus éloigne les moustiques. Cela nous donne des idées pour notre retour en France.

Les rues sont très étroites et pavées, il y a du soleil, ce qui apporte une luminosité particulière à notre promenade. La ville est très touristique, mais garde son charme et son côté typique marocain. 

Là encore, marchands de tapis et compagnie. Nous sourions, discutons avec le marchand de tapis, qui veut comme il dit : « une photo avec la gazelle ». Gloups ! Pas courant par chez nous, mais très fréquent ici, il faut que je m’y fasse, et j’arriverai à tourner les choses à la rigolade, mais la première fois ça fait vraiment un drôle d’effet !

Nous nous laissons un peu porter par le vent, nous arrêtons boire un thé à la menthe en écrivant quelques cartes postales.

Depuis quelques temps, j’ai envie d’essayer le hammam, mais j’ai un peu peur. J’ai entendu parler des hammams marocains, et j’ai aussi lu un livre de Tahar Ben Jelloun (Sur ma mère) qui en parle un peu à un moment. Il explique que la nudité chez les personnes de même sexe ne choque pas dans la culture marocaine. Cela m’inquiète un peu, et en même temps j’ai tellement envie de découvrir cet univers, et de rencontrer un peu des femmes. Je suis tout le temps entourée d’hommes, déjà par le fait de voyager avec Grégoire et Baptise, mais aussi, au Maroc, c’est toujours aux hommes que nous avons à faire. C’est toujours eux qui viennent vers nous pour savoir si nous avons besoin de quoi que ce soit, ou pour tenter de nous arnaquer…un peu…ou beaucoup, c’est toujours eux qui tiennent les cafés ou les petites épiceries… On les voit partout. Même pour la mosquée : quand le muezzine appelle à la prière, on les voit tous se rendre à la mosquée, puis en ressortir, jamais les femmes. Elles y vont, elles aussi, mais par des entrées plus discrètes.

Bref, j’hésite un peu, et me demande si je ne vais pas aller proposer à une touriste de venir avec moi, cela pourra me rassurer et qui sait, peut être est-elle dans la même situation que moi. Et puis non, j’y vais, adviendra ce qui adviendra, et comme dit Baptiste, je ne vais pas faire ma « lopette ». C’est parti !

Je suis directement mise dans le bain. La vieille femme qui s’occupe du hammam, m’explique que je peux me déshabiller à tel endroit et qu’ensuite l’entrée au hammam se fait par la petite porte du fond. Je constate (sans trop de difficulté) que les femmes autour de moi sont en culotte. Je suis un tout petit peu rassurée. Elles remarquent bien que je ne suis pas une grande habituée et sourient gentiment en me regardant aller jusqu’à la porte du hammam, les bras en croix pour cacher ma poitrine.

A l’intérieur, il y a trois salles en enfilade qui sont séparées par des arches. La première salle est la moins chaude et la troisième, à l’inverse est la plus chaude. Sohanne, qui a à peu près mon âge, vient me voir et m’invite à m’asseoir avec elle et une de ses amies dans la salle la plus chaude. Pour l’occasion, j’ai acheté avant de venir, un petit gant râpeux et du savon noir. J’ai pris soin d’emmener mes claquettes en plastique, très pratiques par ailleurs pour tous les endroits sales où nous devons nous doucher. Sohanne me présente un petit tapis sur lequel je peux m’asseoir et elle me dit dans un français un peu hésitant qu’elle va revenir avec de l’eau.

J’observe. Tout autour de moi, des femmes, toutes pleines de rondeurs, qui se jettent des seaux d’eau sur la tête, qui se massent avec leur gant, et qui on surtout des tonnes de produits dans des petits paniers en plastique. Il leur faut du savon noir, et pas le ridicule petit sachet en plastique que je suis trop fière d’avoir dégoté avant d’entrer. Non, elles ont un petit tupperware, dans lequel elles ont le vrai savon noir, qui ressemble un peu au caramanuel (« caramel de chez Manuel », à la Baule). Je crois que je leur fait un peu pitié avec mon truc de touriste, car l’amie de Sohanne, Haouda me propose le sien. Elles ont aussi du gel douche et du shampoing. Après avoir passé plusieurs heures à se savonner et se frotter avec le savon noir, elles prennent une « vraie » douche, juste avant de sortir. Dans leur panier en plastique, elles ont aussi du henné, et des brosses à cheveux.

Sohanne revient avec de l’eau. Ici, il y a soit de l’eau très chaude, soit de l’eau très froide. Il faut donc transvaser l’eau pour qu’elle devienne à une température correcte. Il y a en moyenne un  seau et demi par femme (ce sont mes calculs approximatifs) et une écope (je ne pense pas qu’elle appelle cela comme cela) qui permet de passer l’eau de l’un à l’autre seau. Nous sommes environ 20 femmes dans cette troisième pièce, je vous laisse imaginer le nombre de seaux…

Sohanne me demande si la température me convient, et ensuite commence à me verser de l’eau dans le dos, et puis sur tout le reste du corps. Elle m’explique que je peux mettre le savon prêté par Haouda, et qu’ensuite elle viendrait me frotter dans le dos avec mon super gant ! Je commence à me savonner tout en discutant avec mes nouvelles amies. En fait elles sont assez jeunes. Elles viennent juste de passer leur bac et sont en vacances. Je trouve qu’il y a un grand décalage avec la France et peut être que j’ai mal compris, mais après avoir redemandé elles me le confirment. D’ailleurs, Sohanne n’a pas eu son bac. Mais elle s’en fout un peu car son objectif est de rester à la maison et de s’occuper des enfants.

Toutes les deux me félicitent quand je leur dit que je suis mariée, mais elles s’étonnent en même temps de constater que je n’ai pas d’enfants, que je ne suis toujours pas enceinte. Je leur explique que je suis en train de faire le tour du monde en vélo, et que les deux sont difficilement compatibles. Nous échangeons sur nos différences culturelles, notamment au sujet du mariage, de la famille et de l’éducation. Je commence à me sentir à l’aise dans cette ambiance qui m’est toute nouvelle.

Sohanne me frotte le dos, pour enlever toutes les peaux mortes, elle frotte, elle frotte ! Je suis un peu gênée, mais cela semble normal pour elle. D’ailleurs, à deux ou trois reprise elle me laissera pour aller aider une veille femme dans la deuxième salle. Elle est la nièce de la gérante du hammam et je pense que c’est un petit travail pour elle.

Pendant plusieurs heures nous discuterons. Elle me lavera les jambes, les bras. Ca fait parfois un peu mal, mais tout le monde fait cela. J’ai l’impression que ma peau est en train de s’arracher, je ne veux pas montrer que j’ai mal, il faut que je sois à la hauteur tout de même.  Elle m’explique que la masseuse est malade et que c’est pour cela que je ne pourrais pas être massée aujourd’hui. Pour moi c’est pas grave, je suis déjà très contente de tout ce que je vis en ce moment.

Mais Sohanne me demande si j’ai du temps devant moi, ou si j’ai des impératifs. Rien ne m’attend, les garçons savent que je suis partie m’occuper un peu de moi, ils ne m’attendent pas. Elle me propose de me masser. Je sens bien que c’est pour servir un peu de cobaye, mais il faut bien qu’elle apprenne si un jour elle veut remplacer la masseuse du hammam de sa tante… Je ne sais pas si cela est dans ses projets, mais j’accepte.

Je me mets sur le dos, dans une des petites alcôves qui entourent la dernière salle. Cela fait maintenant un peu plus de 2h00 que je suis dans la salle la plus chaude et je commence à avoir vraiment très chaud. Allongée au sol, cela est plus supportable. Sohanne fait ses débuts de masseuse sur mon corps. C’est reparti pour le savon noir, et l’eau. Malgré quelques petites maladresses de la part de ma masseuse privée en herbe, je me sens vraiment gâtée.

A la suite de ce massage, je suis épuisée par la chaleur de la troisième pièce, et Haouda m’accompagne dans la première salle pour me faire mon shampoing. D’un coup l’air est plus frais, et j’ai moins peur de faire une syncope. Petit conseils aux femmes qui vont au hammam au Maroc : pensez à bien vous démêler les cheveux avant ! Les marocaines n’y vont pas de main morte, et j’y ai laissé plusieurs touffes de cheveux…aïe !

Au final, je suis bien contente d’avoir fait cette expérience, et surtout de ne pas avoir sollicité une autre touriste pour m’accompagner. Je pense que cela aurait rendu ce moment moins authentique, et que le lien qui s’est créé entre Sohanne, Haouda et moi-même n’aurait pas été aussi riche.

Baptiste et Grégoire au hammam (par Baptiste)

Après un bon couscous sur la grande place de Chefchaouen, nous sommes partis Grégoire et moi au hammam. Il est 20h00, c’est le tour des hommes ! Nous sommes rentrés pour 10 Dirham chacun (environ 1 euro par personne) : Cii pas chér !

C’est un hammam familial, avec un frère qui ne parle pas un mot français à la caisse, et l’autre qui parle français, dans le hammam.

Première partie on se passe le savon sur le corps, sous les explications du chef.

Deuxième partie : massage avec un gant qui râpe, par un marocain, faute de belles marocaines. Ca faisait trop mal ! Puis on se re-savonne pour enlever toute la crasse ! Et voilà, la séance est terminée ! On est repartis 1h30 après, tous beaux tous propres…purifiés !

Je ne pensais pas que cela allait se passer comme cela. C’était brutal, car Grégoire se faisait un peu (sans exagérer), gronder, car il fallait à chaque étape que je passe en premier, à cause de mon handicap. Par exemple, quand on est rentrés, Grégoire m’a aidé à m’installer, et ensuite il s’est assis par terre contre le mur, le premier. Ensuite le frère qui parle français a dit : « non, non, tu te lèves, d’abord lui et toi après ! » Baptiste

Les meilleures choses ont une fin. Après trois jours passé à Chefchaouen, après avoir bien fait attention à nos intestins (riz, bananes, coca, et…heu, coca, bananes, riz), il faut reprendre la route en direction de Fès, capitale du cuir.

La famille Bensallah (par Sibylle)

Entre Ouezanne et Fès, comme il nous est impossible de faire toute la route d’une traite, nous nous arrêtons pour frapper chez les gens et demander un petit coin de pelouse pour planter notre tente. Nous sommes dans les montagnes berbères, et le coin est très beau.

Avec Baptiste, nous regardons Grégoire s’aventurer sur un petit chemin qui mène à une maison. Le froid commence à se faire sentir, et comme nous avons déjà essuyé quelques refus, nous espérons que cette fois-ci sera la bonne. Grégoire revient en disant que seuls les enfants parlent en français et vraiment pas très bien. Il croit avoir compris que nous pouvons passer la nuit ici, mais n’est pas très sûr. Nous avançons avec les vélos, accompagnés par Issam, et Hadour, qui nous confirment dans leur attitude que nous sommes les bienvenus.

Les premiers contacts sont difficiles, nous ne parlons pas un mot d’Arabe (à part « thé à la menthe » que nous avons appris dès le premier jour, mais dans des cas comme celui-là, ça n’est pas très utile), et la famille pas un mot de français non plus. Il y a dans le jardin une dizaine de femmes avec qui nous échangeons quelques sourires. Abdullah, le fils aîné d’environ une trentaine d’année arrive et parle un peu mieux français que les deux petits. Il nous dit que nous pouvons mettre les vélos à l’intérieur car cela sera plus sûr. A partir du moment où nous avons franchi le pas de la porte, nous avons senti les barrières tomber. Toutes les femmes ont commencé à s’agiter. Deux d’entre elles ont déplacé des matelas, des coussins, et des tissus pour en faire un salon agréable, dans une pièce de la maison fraichement repeinte. D’autres s’affairent à la cuisine pour préparer le thé, et puis le repas.

 Tout le monde écarquille les yeux. Nous sommes étonnés de voir autant de monde dans un endroit qui nous semblait si petit, et la maison nous étonne. Eux sont surpris d’avoir à faire à de tels énergumènes, nos vélos dénotent dans leur univers de chaque jour. Cela nous arrivera très souvent au Maroc de nous sentir regardés autant que regardants.

Nous restons tous les trois assis, et essayons de communiquer, avec notre petit livre d’image (G palémo – guide du routard) très pratique, et aussi grâce à un guide de communication qui traduit en 12 langues les expressions importantes, et donne quelques bases grammaticales. Autant dire que pour la langue arabe cela est très difficile. Si nous ne prononçons pas bien, personne ne peut nous comprendre, et si nous faisons l’effort d’appuyer un peu sur l’accent arabe, on sent que cela fait rire autour de nous (sans méchanceté aucune).

Très vite tout le monde se sent à l’aise. Nous montrons des photos de nos familles, nous parlons de notre vie, de la leur. Avec Grégoire nous racontons un peu notre mariage, puis nous parlons aussi du voyage que nous sommes en train de faire. Nous parlons avec les mains, nous rions des postures que chacun doit prendre pour se faire comprendre. Malika, la mère nous parle du mariage raté de sa fille, Najèt, qui doit avoir à peu près mon âge. Il y a un an elle s’est mariée, et il y a 9 mois son mari lui a donné une lettre de divorce et est parti avec une autre femme. Hamid, infirmier du village, parle français et nous a rejoints au cours de la conversation. Il nous explique qu’ici, dans la campagne, les femmes ne choisissent pas leur époux. C’est le cas pour Najèt qui a épousé son cousin germain, qu’elle ne connaissait pas, ou très peu.  Du coup, aujourd’hui elle est retournée chez ses parents et espère que le juge donne tort a son ex-mari, afin de pouvoir récupérer son honneur et se remarier ensuite. De cette histoire, nous avons beaucoup échangé sur les différences culturelles, sur la politique, et la religion, toujours aidés par Hamid pour nous comprendre les uns les autres.

Les discussions ne dureront pas jusqu’au bout de la nuit, nous sommes épuisés par notre journée, et nous n’arriverons pas à le cacher bien longtemps. Ici il n’y a pas l’eau courante et pas de douche ni de toilettes. Nous irons au dispensaire, là ou travaille Hamid pour faire un petit brin de toilette. De retour à la maison, les femmes ont rangé la salle ou nous avons mangé, et l’ont métamorphosée en chambre. Nous sommes accueillis et chouchoutés comme des rois. Avant de nous coucher, nous acceptons l’invitation à déjeuner le lendemain midi, avant notre départ pour Fès.

Le lendemain matin, une odeur de pain chaud embaume la maison et effleure nos narines. En guise de réveil on peut dire que c’est pas mal. Je me lève la première (on ne change pas les bonnes habitudes) et suis directement mise à l’épreuve. Me voilà, ni une ni deux dans la cuisine, à genoux par terre, pour faire des petits pains avec Najèt. Elle me montre comment faire, et m’assiste dans mes premières réalisations de boulangère. Baptiste qui me suivra de près pour le lever, assistera à la scène et attendra avec un peu plus d’impatience le petit déjeuner. Nous nous installerons tous ensemble un peu plus tard, pour déguster les bons pains, gras, mais bons, le thé, et aussi une espèce de pâte aux amandes, assez épaisse et consistante.

 

Malika, me propose de venir avec sa fille Sanae, chez le médecin. Sanae est enceinte de huit mois et doit faire le rappel de la rage. Nous allons toutes les trois au cabinet médical ou travaille Hamid. Il y a beaucoup de choses qui trainent : des seringues, des compresses, des petits appareils, des boites de médicaments… Sanae se fait vacciner et Malika qui est diabétique se fait aussi ausculter. « Pour moi, tout va bien ! » Telle est la réponse que j’ai formulée à Hamid, quand il a demandé si j’avais besoin d’être auscultée à mon tour. Il est vrai qu’avec le regard d’occidentale que j’ai, ce cabinet médical me semble assez peu aseptisé et ne me met pas réellement en confiance. La visite durera très peu de temps, et nous voilà reparties vers le chemin de la maison.

Avec les femmes de la maison, je prépare le repas. Pendant ce temps, Grégoire et Baptiste font faire quelques tours de vélo aux enfants rentrés de l’école et prennent des photos.

Dans la cuisine, tout le monde a sa tâche. Avec Sanae, je suis à l’atelier poisson. Il faut laver les sardines, puis leur couper la tête et les vider. Il y a très longtemps, je me souviens l’avoir fait après une pêche aux éperlans fructueuse en Bretagne. Mais, il faut tout de même que je me dépasse un peu pour cet exercice. Malika et Najèt coupent les légumes et préparent les épices qui s’ajouteront à la suite de la préparation. Il y a plusieurs familles qui vivent ici, et les autres femmes d’à peu près mon âge semblent être là pour l’occasion, pour passer du temps avec moi. Je me sens vraiment bien dans cet univers féminin. D’ailleurs, pendant la cuisson, les filles me feront visiter le reste de la maison, qui est très grande en réalité. Puis dans une des petites pièces, elles mettront de la musique et se mettront à danser. C’est surprenant de voir l’envers du décor. Face au monde, elles apparaissent presque toutes comme discrètes et réservées. En aparté, c’est différent. Les foulards tombent pour venir entourer leur taille et accompagner le mouvement de leur hanche, de leur bassin au rythme de la musique. Je me prête à ce petit jeu et cela les amuse de me voir faire la danse du ventre et des fesses à la française. Au final je ne m’en sortirai pas trop mal et on aura passé ensemble un très bon moment.

Après le repas, Najèt a prévu de me faire du henné. Au Maroc, les femmes se font des dessins sur les mains au moment des grandes fêtes, car cela porte bonheur à toute la famille. Il existe différentes formes de henné. Pour moi il sera orange, et dans le temps il tournera vers le noir. La préparation du henné est assez longue. Une fois, en France, j’avais eu l’occasion d’en faire, mais il sortait d’un petit tube tout prêt, ce qui était bien différent. Là le henné ressemble à une petite poudre, et est ensuite mélangée à de l’eau tiède pour en faire une pate souple. Najèt et Sanae font chauffer un peu la pate avant de la glisser dans une seringue. Elles mettent le reste dans un petit récipient, et c’est parti ! Elles ont un modèle à proximité, mais elles laissent pas mal libre cours à leur imagination. Je vois mes mains se transformer petit-à-petit en œuvre d’art. Les dessins montent jusqu’au milieu des avants bras.

 

Quand la seringue est vide, il faut la remplir de nouveau, pour continuer. Quand les mains sont finies, il est temps de passer aux pieds. L’opération de réalisation a pris environ 2h30, ensuite il faut aussi attendre que cela sèche. Une fois le henné sec, Sanae prend un petit tissu, un peu comme une compresse, et le trempe dans le thé puis dans le sucre avant de tamponner mes nouvelles mains. J’ai demandé à quoi cela servait, mais nous n’avons pas réussi à nous comprendre, je n’ai donc pas de réponse pour l’instant. Il a fallu attendre environ 2h00 pour enlever le henné des mains, et pour les pieds, le soir, par impatience, j’ai commencé à gratouiller, et puis au final j’ai tout enlevé toute seule.

A la fin de l’opération, il est très tard. Inutile de dire que pour la plus grande joie de tous, nous sommes contraints à rester une nuit de plus chez les Bensallah. Najèt est trop contente, et nous aussi. Elle m’emmène dans sa chambre et me propose d’essayer la djellaba de son mariage. Et c’est parti pour le défilé. La djellaba blanche, puis la violette. Il faut que j’aille me montrer dans le salon, sous l’œil amusé de Grégoire et Baptiste. Je suis coiffée, maquillée, admirée, séance photo et compagnie. Grégoire est lui aussi transformé en marié marocain. Djellaba blanche et bonnet. Tout cela m’amuse et me fait bien plaisir et en même temps m’épuise.

A la fin du dîner, nous annonçons de manière officielle notre départ le lendemain matin après le petit déjeuner. Malika, et Hamid (pas l’infirmier, mais son mari) nous proposent de rester encore un peu, au moins jusqu’à l’Aïd, dans 15 jours. Nous sommes très touchés par l’invitation, car cette fête au Maroc, c’est un peu comme Noël chez nous ; mais nous ne pouvons pas accepter, et restons sûrs de nous pour un départ le lendemain matin. Grégoire leur offre un petit cadeau pour les remercier, et nous allons tous nous coucher.

Ilias et son grand-père :HamidSibylle et Najèt

Malika

Au moment de partir, Malika nous montre le vent (qui est effectivement très fort et dans le mauvais sens pour nous), et nous fait bien comprendre qu’en vélo c’est très dur et que nous ferions mieux de rester encore un peu. Mais en réfléchissant ainsi, le lendemain il peut pleuvoir, y avoir de l’orage …, nous résistons à cette dernière proposition, embrassons nos nouveau amis, et partons sous les regards un peu tristes. Les meilleures choses ont une fin. Nous avons passés de très bons moments avec toute la famille, et garderons un souvenir inoubliable de notre passage chez eux. Nous promettons d’envoyer les innombrables photos qui semblent avoir une importance incroyable à leurs yeux.

Photo de famille

Fès

Nous l’aurons méritée. Un vent incroyable nous a ralentis toute la matinée. L’après midi il nous était un peu plus favorable, mais nous sommes encore dans les montagnes. Ca monte, ça descend…Le tandem prend de l’avance sur le handbike, et à environ 10 km de Fès, nous attendons Baptiste. Il arrive environ 10 mn après nous, très énervé par deux enfants qui lui ont volé ses lunettes. Les deux petits bergers, que nous avions croisés nous aussi, l’ont embêté, et on tenu son handbike par l’arrière. Sans que Baptiste ne puisse se défendre, ils lui ont arraché ses lunettes et sont partis en courant. Nous sommes tentés de continuer notre route et de laisser tomber. Après tout, jusque là nous n’avons eu aucun problème de ce genre, on était plus ou moins prévenus. En plus il est 16h, ce qui nous ferait arriver assez tôt en ville. Nous pourrions profiter un peu tout en nous couchant tôt. Mais, c’est un peu trop dur de se laisser faire ainsi. Nous laissons le tandem sous la responsabilité de Baptiste, et nous partons, en stop, rejoindre le lieu que Baptiste nous a indiqué. Nous nous éloignerons de la route, nous séparerons dans les montagnes rouges, et serons saoûlés par le vent extrêmement fort. Impossible de mettre la main sur les deux enfants, qui ont disparu comme par magie, emportant avec eux leur troupeau, et ce qui donnait à Baptiste la tête de Michel Polnareff.

Nous terminerons notre route vers Fès en camion, avec le marocain qui nous aura pris en stop pour rejoindre Baptiste.

Quelque jours plus tôt, nous avons rencontré sur la route une canadienne, cyclotouriste aussi, qui nous a conseillé une super pension à Fès, pas trop chère, et avec de la place pour les vélos. Nous voulons y aller. Elle se trouve dans la médina, mais nous nous lançons. Les rues sont très étroites, il y a beaucoup d’étalages et surtout beaucoup de monde. Nous prenons presque toute la largeur de la rue à nous seuls, ce qui rend les choses un peu compliquées. Beaucoup de jeunes nous entourent et nous proposent (très insistants comme toujours) de nous aider à trouver hôtel, resto… Nous expliquons que nous avons déjà tout ce qu’il faut. Arrivé à la pension conseillée par la canadienne, une personne au pied des escaliers nous informe que c’est complet. Pas marrant du tout ! Il nous est impossible de faire demi-tour, s’enfoncer encore plus dans la médina, ne nous enchante pas trop, mais c’est la seule chose à faire pour le moment. Nous suivons les jeunes qui vont avec Grégoire en reconnaissance. Après plusieurs tentatives, nous finirons par trouver un endroit. Nous sommes épuisés par les sollicitations ultra nombreuse pour nous aider à porter les vélos, les sacs, pousser Baptiste, allumer les lumières… Nous sentons qu’il faut faire vite pour nous engager auprès de l’hôtel et que tout le monde soit sûr que nous ne changions pas d’avis. Bref ! Fès une ville touristique, et nous serons sollicités de la sorte les trois jours que nous passerons là-bas.

Depuis longtemps, nous avons prévu de nous arrêter un petit peu à Fès. Nous voulons aller visiter l’endroit ou travaillent les tanneurs. Toujours, de nombreux jeunes nous proposent de les suivre jusqu’à la terrasse panoramique de la coopérative de leur père : « c’est pour le plaisir des yeux mon ami!» Les tanneries sont impressionnantes. Il s’agit de grands bacs en terre à l’extérieur. Chacun des bacs est constitué d’un mélange de chaux, de colorant, d’excrément de pigeons, d’eau… Les mélanges sont parfois différents en fonction de l’étape de la création du cuir. Les peaux des bêtes sont trempées à plusieurs reprises dans les bacs. Les hommes sont pieds nus, et en short pour enfoncer les peaux jusqu’au fond des bacs, et les faire remuer à l’intérieur pour s’assurer qu’elles s’imprègnent bien de la couleur. Tout autour des bacs, il y a des peaux qui sèchent. Elles sont ensuite utilisées à la réalisation d’objets en cuir, tel des sacs à main, des babouches, des vêtements, des poufs… que nous pouvons trouver dans la coopérative « du père de notre ami », ou nous sommes déjà puisqu’il fallait la traverser pour accéder à la terrasse. Malin ! Il est difficile de résister à la tentation…de la négociation ! Nous jetons notre dévolu sur un sac, et tentons d’en faire baisser le prix. Cela prend du temps et nous aimons bien ce jeu. A plusieurs reprises, nous avons réussi à faire baisser le prix de ¾ par rapport au prix annoncé. Nous repartirons de Fès avec quelques souvenirs inattendus, bien contents de nos talents de négociateurs. C’est drôle d’entendre les mêmes phrases chez les commerçants. Ils nous charment un peu : «  Ah, la gazelle elle négocie comme une berbère », «ça c’est vendre le chameau au prix du bourricot ! », «Si je ne fais pas de bénéfice au moins ça me débarrasse»,  Tous sont très forts pour nous amener à croire que nous sommes des touristes uniques : «  vous avez de la chance, aujourd’hui c’est le seul jour du mois ou les berbères sont là », « comme c’est vous et que demain c’est vendredi, jour de la prière, tout est fermé je vous fais un bon prix », ou encore  «  dans quelques jours c’est l’Aïd, et il me faut de l’argent pour aller acheter le mouton, je suis prêt à te faire un bon prix, mon ami »… C’est la mission pour connaître le prix des choses, et nous sommes forcés de faire baisser au maximum et de repartir sans rien pour voir jusqu’où nous pouvons aller. Pas inintéressant du tout, mais là encore, épuisant.

Les tanneries

                      

Nous quitterons Fès deux jours plus tard, un peu plus lourds qu’à notre arrivée. C’est l’jeu ma pauv’ lucette !

Meknès

Nous sommes aussi restés quelques jours à Meknès. C’est aussi une très belle ville. Nous avons visité les greniers et le mausolée de Moulay Ismaël et avons erré dans la ville et dans les marchés de fruits et d’épices. Nous avons aussi passé pas mal de temps à communiquer avec nos familles puis à préparer la suite de notre voyage. Dans quelques jours, nous rejoindrons Rabat, puis Casablanca.

Nous avons pris la décision de renoncer à la Mauritanie, et de fait au Sénégal. Nous sommes un peu déçus, mais trouvons cela plus sage. Cela nous permet de réfléchir à un autre voyage en Afrique à un autre moment, peut-être ! Mais chaque chose en son temps ; il faut préparer notre arrivée en Argentine. L’avion ou le bateau, telle est notre grande question du moment.

Mosquée

Rabat (par Grégoire)

Nous arrivons en fin d’après-midi dans la capitale marocaine. Une effervescence un peu plus soutenue que d’habitude agite la ville car c’est la veille de l’Aïd. Le lendemain, tout sera fermé, il faut faire les dernières courses. Nous voyons des moutons partout dans la ville, s’engouffrer dans les maisons, inconscients de l’avenir proche qui leur est réservé. Sibylle part in extrémis chercher quelques informations sur internet, et nous restons  avec Baptiste, à observer les passants. Un marocain vient nous demander ce qu’on veut boire, c’est gratuit. Il nous apporte 2 canettes de coca et disparaît presque aussitôt. Incroyable générosité. Lorsque nous sommes immobiles, ainsi, il est très rare que personne ne vienne nous parler. C’est le cas depuis que nous sommes partis de Paris, les gens s’approchent et nous posent des questions qui se ressemblent beaucoup. A vrai dire, seul l’ordre diffère. Le top 5 des questions que l’on nous pose sont :

« -Où allez-vous ? 

-Tour du Monde ? Alors quel est votre itinéraire ?

-Combien de temps ?

-C’est pas trop difficile de pédaler avec les bras ? (variante : « Pourquoi avoir choisi de pédaler avec les bras ? Pour la position confortable de l’assise ?)

-Depuis quand êtes-vous partis ? »

Si vous en redemandez, je vous livrerai un top 10 des questions les plus fréquentes la prochaine fois. Quoi qu’il arrive, sachez que la répétition archi fréquente de toutes ces questions ne nous agace pas car nous avons rencontré à 3 reprises des cyclotouristes au long cours depuis notre départ et nous leur avons précisément posé ces questions là…

Bref, revenons à nos moutons (Yes !, je l’ai placée celle-là). Parmi le groupe d’hommes marocains qui nous entourent et avec lesquels nous discutons, l’un nous prie d’accepter son invitation à fêter l’Aïd dans sa famille. Evidemment, nous acceptons, trop contents. C’est parti. Comme d’habitude, tout est possible, tout est réalisable. Les vélos ne passeront jamais dans le corridor en forme de Z. Finalement si. Ils prennent tout l’espace dans la cour intérieure et des portes sont condamnées mais les gens continuent à pouvoir circuler comme si de rien n’était. Une pièce qui sert de lieu de vie nous est quasiment exclusivement réservée semble-t-il. Dans la cour, nos imposants moyens de locomotion sont obligés de partager l’espace avec 4 moutons, vivants pour l’instant et visiblement affamés car ils s’attaquent aux pneus en caoutchouc des vélos. Toute la nuit, nous les entendons bêler (les moutons, pas les vélos, pfff…) et sommes peut-être aussi terrifiés qu’eux à l’idée du sort qui attend les 4 bêtes le lendemain matin, dans la cour même, aux yeux de tous. Au réveil, nous sommes rassurés de savoir que le boucher ne viendra que vers 10h ou 11h. Ouf, encore un peu de répit. Sibylle va prendre une douche, Baptiste et moi sommes dans la chambre. Dans la cour, l’agitation habituelle. On entend juste une forte respiration en plus, comme quelqu’un qui ronfle. En fait, c’est tout simplement que le boucher est arrivé plus tôt que prévu et que le premier mouton est définitivement plus proche du stade brochette que du stade agneau. Le sang coule à flots, la bête agonise (d’où les bruits de respiration, qui continue à s’opérer bruyamment quelques instants, même après l’égorgement). Sibylle ne peut plus sortir de la salle de bains car le mouton d’une part et sa tête d’autre part barrent l’accès. C’est parti pour le massacre. Greg et Sibylle semblent plus remués et sensibles à la vue du sang que Baptiste qui est donc chargé de faire des photos que nous ne diffuserons pas sur le site (pour ne pas causer trop de soucis aux amis d’Enguerrand à la Roche-sur-Yon). Tout un processus s’opère. Parmi le plus spectaculaire, 2 choses : une fois que la tête est retirée, le boucher gonfle le mouton, comme un ballon de baudruche géant, afin de retirer la peau plus facilement. L’autre chose est justement le moment où toute la peau du mouton est retirée, avec une relative facilité (un peu comme quand on enlève une combinaison de surf).

Rachid nous propose ensuite de partir visiter la Casbah des Oudayas. C’est au bord de la mer, une cité entourée de remparts avec de vieilles maisons et de jolies ruelles.

 Ancien lieu de résidence du roi Mohammed V selon Rachid. Petite ballade d’une heure très sympa, qui permet de souffler et de respirer à pleins poumons l’air de l’océan après ces quelques heures dans un espace relativement confiné, où tout se passe dans un espace de 50 mètres carrés, cour comprise. A notre retour à la maison, les moutons sont pendus par les pattes, comme dans une boucherie. Les femmes s’occupent de nettoyer l’intérieur du mouton qui semble être la partie à manger en premier selon le rituel. Rachid nous explique que dans cette deuxième partie de journée, sa famille va recevoir de la visite, c’est comme ça que ça se passe, qu’eux-mêmes iront visiter voisins, amis, famille, etc… Nous sentons qu’il souhaite être en famille et décidons de partir, déjà trop contents de l’accueil (quoi qu’un peu déçus de ne pas avoir goûté de mouton mais c’est pas grave). Au moment du départ, Rachid m’emmène à l’écart pour me parler. Il me dit que l’accueil dans sa famille est à sa charge, c’est l’hospitalité marocaine, c’est normal selon lui. Par contre, il nous demande de le rémunérer pour la visite guidée de la Casbah des Oudayas. Il demande 20 euros par personne. C’est une somme colossale. (Par exemple, pour 15 euros, nous pouvons dormir tous les 3 dans un hôtel très convenable pendant une nuit). La déception est grande (proportionnelle à l’addition salée). Nous décidons de lui donner à peu près ce que nous aurait coûté une nuit d’hôtel, justement, en lui expliquant pourquoi (entres autres, la visite guidée n’avait strictement rien de plus intéressant que si nous l’avions faite seuls).

Nous nous retrouvons dans cette capitale aux rues désertes, livrés à notre déception et notre amertume de s’être fait embobiner pendant presque 24h. Pour couronner le tout, une odeur insupportable envahit les rues depuis le matin : celle des « barbecues de la rue », spécifiques à l’Aïd. Il s’agit d’un groupe de jeunes qui rassemblent les têtes des moutons et les font griller (afin de manger l’intérieur !) sur des anciens sommiers dont il ne reste plus que les ressorts. L’odeur des poils et des cornes qui brûlent ajoutée à celle du plastique (car tout semble servir de combustible, à part du bois, à peu de choses près… Dans le moins pire des cas, il ne s’agit que de planches peintes, anciens meubles, etc…). Bref, cette odeur est insupportable et fait mal au crane (à nos cranes, pas ceux des moutons, Rhooo la la) car ces charmants barbecue-têtes se retrouvent tous les 100 mètres à peu près.

Bref, nous décidons de partir de Rabat le plus vite possible afin de rejoindre Casablanca et surtout de nous aérer tête et poumons. Je garderai toujours un super souvenir de ce pays où le contact est si facile et spontané. Mais il est vrai que 50% du temps, on ne connaît pas l’addition à la sortie, on ne sait pas s’il y en aura une… Si on parle d’argent avant, pour parer à toute surprise désagréable, on touche à un tabou, non non, pas de ça chez nous, c’est gratuit, c’est l’hospitalité marocaine. Si on n’en parle pas, l’addition peut être salée. A partir de là, tout est négociable.

Heureusement, l’autre 50% du temps, la générosité sans limite est au RDV. Jamais chez nous nous avons eu la sensation de donner autant que ce que nous recevons. C’est une chance inouîe que nous avons de rencontrer ces hommes et ces femmes et les liens qui se créent semblent éternels.

Le Maroc a plusieurs visages… mais à chaque fois, avec le sourire, sincère.